L'émission Cash Investigation du 18 Octobre a traité le sujet du contrat OpenBar de Microsoft avec le Ministère de la Défense, denoncé depuis des années par l'April.
Je suis heureux de voir cette émission, car XWiki, éditeur de logiciel libre de partage d'informations, se trouve confronté à ce type de contrats (pas seulement par Microsoft) qui nous bloquent régulièrement et nous empèche d'accéder à des marchés (publics et privés). Qui plus est quand on regarde de plus près, on voit que cela se fait au détriment de la concurrence, au détriment du client qui fini par payer plus cher la solution "Open Bar", et au détriment des utilisateurs des logiciels qui ont un moins bon service.
Si l'émission Cash Investigation a traité les contrats Open Bar sur l'aspect du prix et sur l'aspect de la sécurité informatique, elle n'a pas mentionnée:
- la distorsion de concurrence, en particulier vis à vis d'acteurs locaux et PMEs;
- l'insatisfaction d'utilisateurs face aux solutions imposées;
- le fait que cela existe aussi dans les entreprises et pas seulement au Ministère de la Défense et dans les services publics;
- l'effet "bundle" qui permet à Microsoft de pousser des nouveaux produits, de leur créer une base installée, sans mise en concurrence.
J'en profite donc pour relater mon experience et ma vision des contrats Open Bar qui empêche l'entrée de solutions concurrentes et en particulier Françaises (libres et non libres) aussi bien dans des entreprises publiques et dans les entreprises privées.
Qu'est-ce qu'un contrat Open-Bar
Un contrat Open Bar est un contrat négocié à prix fixe pour une période données (3 ans le plus souvent), permettant l'usage d'un ensemble de logiciels d'un fournisseur (Microsoft dans l'émission Cash Investigation) de façon illimitée. Dans le cas de Microsoft, cela veut dire, potentiellement beaucoup de logiciels, dont certains ou les entreprises concurrentes peuvent être des PMEs, françaises ou européennes par exemple.
Comme ça, ça à l'air sympa ! Open-Bar ! Mais comme pour l'Open-bar en soirée, le reveil est plus dur.
Quel est le piège de l'Open-Bar
Le piège est très simple. Au bout des 3 ans on fait les comptes. On regarde l'usage effectif, on fait une belle feuille de calcul (avec Excel puisqu'il est "gratuit"), on multiplie par les prix publics et on présente la note pour les 3 ans à venir, forcement largement plus chère que le contrat précédent. Mais comme le fournisseur est sympa il fait une petite réduction. Bien sûr on n'est pas obligé de signer, puisqu'il suffit de désinstaller tous les logiciels qui ont été installés pendant les 3 ans. Ah ben non, bien sûr, cela ne va pas être possible, on ne peut pas déinstaller des logiciels qui sont utilisés au jour le jour. Bon bien merci pour la réduction. On va renouveler comme ça, mais n'oubliez pas de nous inviter à la conférence à Las Vegas, ou encore mieux à la finale de l'EURO 2016.
Combien ça coûte un contrat Open-Bar
L'émission de Cash investigation à indiqué, dans le cas du contrat du Ministère de la Défense, le chiffre de 80MEuros pour le premier contrat de trois ans, et de 120MEuros pour le second contrat, soit 50% d'augmentation entre les deux contrats. C'est bien sûr la que ça coince. Le client est clairement en position de faiblesse, incapable ni de négocier réellement, ni de sortir du contrat. Le piège s'est refermé. Bien sûr on va se rassurer sur le fait qu'un seul fournisseur pour tous les logiciels, c'est plus simple et on espère qu'on fait des économies d'échelle et de gestion. Enfin on espère. Mais c'est sans compter sur les effets de bords de ces contrats, qui sont ceux qui concernent les PMEs concurrentes mais aussi les utilisateurs.
La distorsion de concurrence
C'est la, qu'une société comme XWiki, mais aussi des centaines d'éditeurs logiciels rien qu'en France, sont concernés par les contrats Open-Bar. Ceux-ci bloquent la concurrence et les effets sont désastreux aussi bien pour les concurrents que pour les clients eux-mêmes.
1/ Un département de l'entreprise à un besoin et regarde les solutions possibles.
2/ Il sélectionne quelques entreprises qui ont une solution qui semble bien adaptée.
3/ Il évalue le prix des solutions et la solution qui serait livrée en final.
4/ Il en parle à son département IT, qui lui indique qu'un logiciel Microsoft pourrait faire l'affaire, et celle-ci est "gratuite" (puisqu'Open-Bar).
5/ L'analyse montre que la solution est loin d'être idéale et pourrait avoir des coûts non-négligeables de services, plus importants que les services nécéssaires pour les solutions concurrentes.
6/ Le prix global des fournisseurs exterieurs (incluant prix du logiciel ou support pour les logiciel Open-Source), reste quand même plus cher, du fait de la "gratuité" supposée du logiciel "Open-Bar".
7/ De plus jamais le prix des logiciels "Open-Bar" ne seront directement facturés au services les utilisants, étant inclus dans un budget de fonctionnement global réparti au pro-rata des employés.
8/ Par contre le prix des logiciels et support concurrents sont directement supportés par le département utilisateur, si celui-ci souhaite réellement s'engager pour utiliser un "logiciel non-standard".
9/ Le département IT insiste fortement pour utiliser la solution "standard" entreprise malgré ses déficiences.
10/ Le client choisit la solution Open-Bar malgré le fait que cela ne répond pas aussi bien aux besoins et que les services sont plus chers.
11/ Au renouvellement du contrat Open-Bar, l'usage du logiciel est pris en compte, le tarif du logiciel peut être largement plus cher que les solutions concurrentes, même avec les discounts.
12/ Le prix global du projet peut être multipliés par 2, 3 voir 5 en final (le prix de la licence n'est pas négociée face à une solution concurrente)
13/ l'utilisateur final n'est pas satisfait car le logiciel n'était pas le meilleur, générant potentiellement d'autres sur-coûts.
13/ Tout cela c'est passé sans mise en concurrence sur le projet particulier dans le cas d'une entreprise publique.
14/ Les entreprises concurrentes et françaises en particulier n'ont pas eu le contrat, bloquant l'emergence de solutions concurrentes, renforcant la domination de l'acteur existant.
Ce cas est un cas presque "idéal" ou une solution concurrente a été un temps envisagée, mais la grande majorité des cas sera de ne même pas regarder les solutions concurrentes et de prendre dans le "pack", puisque c'est "gratuit".
Ce scénario, nous l'avons déjà vécu chez XWiki, alors que nous avions des utilisateurs finaux qui souhaitaient notre solution.
Que faut-il faire ?
Tout d'abord les entreprises doivent faire beaucoup plus attention à ces contrats qui sont faussement avantageux. Lors du choix d'une solution pour un projet, il ne doivent pas considérer dans leur analyse que le logiciel "Open-Bar" est "gratuit" et effectivement prendre en compte le coût futur.
Du côté marché public, si remettre en cause juridiquement cette pratique n'est pas possible (ce que je ne sais pas), les acheteurs doivent effectivement être vigilants car effectivement ils ne sont pas gagnants en final.
De façon générale il doit aussi y avoir une prise de conscience vis à vis des acteurs locaux et comprendre qu'acheter une pack complets de logiciel d'un coup pose un problème évident de concurrence et n'est pas dans l'interêt des clients à long terme. Ceux-ci doivent privilegier les standards et l'interopérabilité permettant d'utiliser des logiciels d'acteurs différents qui fonctionnent bien ensemble. Une stratégie long terme doit être mise en oeuvre afin de créer les conditions d'un marché concurrentiel.
Et bien sûr comme la Gendarmerie, dont le cas à été montré dans le reportage, les entreprises peuvent se diriger vers les logiciels libres qui sont une solution, cependant sans oublier de contribuer au financement ou au développement des ces logiciels, comme je l'ai déjà évoqué dans d'autres contextes:
http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2013/10/22/cercle_82665.htm
http://linuxfr.org/news/vivre-du-logiciel-libre-ludovic-dubost-nous-parle-de-sa-societe-xwiki-sas